Un « Asset Centric SPV » est une société constituée exclusivement pour développer un projet autour d’une molécule ou d’un programme unique. Est-ce un modèle de développement et de financement vertueux? Attire-t-il particulièrement le secteur des pharmas? Existe-t-il des spécificités juridiques dans la structuration d’une SPV?

Par Emmanuelle Porte,
avocat associée, Bird & Bird

 

Si certains fonds d’investissement comme Medicxi se sont officiellement positionnés sur le financement exclusif de SPV, il est plus difficile pour un entrepreneur de biotech de décréter choisir exclusivement ce modèle de développement, car c’est un « renoncement » à la R&D multi-projets. La constitution d’une SPV ne peut s’appliquer à tous les projets, ni à toutes les aires thérapeutiques. Le financement d’un projet autour d’un unique actif vise un objectif déterminé dont les milestones sont précis, le besoin en financement exactement délimité et l’acquéreur ou le partenaire pharmaceutique souvent présélectionné. Les biotechs et les financiers identifient très spécifiquement les actifs qui se prêtent à ce mode de financement sélectif, en phase early stage (drug discovery et pré-clinique) en vue d’atteindre la phase clinique, moment où le projet sera cédé.

La structuration

L’idée consiste à isoler un actif (une molé- cule, un programme et sa propriété intellectuelle propre ou licenciée) que le chercheur ou la biotech veut amener à la preuve de concept. Dans le cas d’un projet moins early-stage, un accord de licence et de codé- veloppement existe déjà avec une pharma, auquel cas, cet actif et cet accord clés sont logés dans une entité juridique créée spé- cialement pour le développer et encaisser les paiements de milestones. À ce stade de développement, l’actif n’a pas encore une valeur significative (sauf en cas d’accord de licence avec une pharma bien entendu), il n’est en général pas activé au bilan de la biotech et son transfert n’entraîne pas encore de conséquence fiscale négative. Le « transfert » est réalisé soit par voie d’apport-constitutif soit par le biais d’une licence concédée à la SPV. Il peut s’avérer complexe au plan juridique s’il est constitué de différentes sources et composants et peut nécessiter des accords de tiers, des sous-licences et des licences croisées. L’articulation et le partage de l’IP entre la biotech et la SPV seront un point d’attention particulier : si la biotech est elle-même une plateforme de développement qui créée des SPV sous forme de spin-off de projets, en général ses actionnaires financiers préfèrent garder la propriété intellectuelle dans le « cœur du réacteur » et accorder des licences aux SPV. Un autre modèle consiste au contraire à créer des SPV dupliquant le même actionnariat, auquel cas la propriété intellectuelle est véritablement transférée à la SPV. La répartition du capital entre les fondateurs/la biotech et les investisseurs dans la SPV est une donnée structurante du projet: si elle dépend évidemment de la valorisation de l’IP et du savoir-faire apportés à la SPV, des mécanismes de relution et d’anti-dilution en fonction de l’atteinte de milestones doivent être mis en place pour que les parties prenantes soient intéressées au succès. L’horizon de liquidité doit faire l’objet d’un accord dès la constitution de la SPV.

Une équipe de projet performante et focalisée

Financement dédié, milestones strictement définis, équipe de projet restreinte, tels sont les caractéristiques de ces SPV: tous les éléments structurants du projet sont focalisés sur un but à atteindre, avec des coûts minimisés et donc une rentabilité potentielle optimisée. Dans un modèle de création de multi-SPV à partir d’une biotech qui opère des spin-off, cette dernière met à disposition des SPV les quotas de ressources strictement nécessaires, aux côtés d’équipes spécifiquement recrutées pour chacune des SPV. Des consultants extérieurs sont utilisés au cas par cas, la SPV pouvant attirer des talents aux compé- tences extrêmement pointues sur le projet clé. Les services communs sont mutualisés. À cela s’ajoute en général un contrat de collaboration/codéveloppement avec la biotech et une implication très étroite des équipes des fonds spécialisés dans ce type d’investissement : leur modèle de ressources est en adéquation avec ce mode de pilotage de projets, les fonds faisant euxmêmes appel à des équipes de spécialistes sur les SPV qu’ils choisissent.

Une meilleure maîtrise de projet?

L’idée directrice est que l’équipe de projet est focalisée sur le seul milestone et n’est pas « distraite » par des décisions à prendre sur d’autres projets. La non-atteinte du milestone entraîne en général l’arrêt immédiat du projet et la liquidation de la SPV : le focus sur un unique projet rendrait plus aisée la décision de l’arrê- ter car le dénouement de la SPV n’est pas complexe (attention à prévoir le retour de l’IP dans la biotech). Par conséquent, les investisseurs ont le sentiment de contrôler le projet et les risques associés puisqu’ils peuvent l’arrêter à tout moment en évitant toute dérive.

Une palette d’investisseurs plus variée

Les Asset-Centric SPV peuvent attirer deux types de financiers: d’une part, des capitaux risqueurs qui au cas par cas, ne souhaitent pas investir dans la plateforme biotech, de peur que leur financement ne profite pas au projet sur lequel ils misent; d’autre part, des investisseurs dont le modèle est spécifiquement celui du financement de projet. La biotech peut faire preuve d’agilité dans sa recherche de financement : mobiliser des investissements « par le haut » et en parallèle, des investisseurs focalisés sur les SPV. À chaque nouveau projet, la biotech peut choisir de le conserver dans la plateforme multiprojets pour le développer en propre ou le loger dans une SPV en fonction de l’appétence des financiers. La biotech peut également participer au financement des SPV lors des nouveaux tours afin de ne pas être diluée.

Des pistes de sortie potentiellement plus variées

Les candidats acquéreurs d’un actif ou d’une SPV peuvent être statistiquement plus nombreux et variés que les candidats acquéreurs d’une plateforme dont certains actifs sont en dehors de leurs axes de développement. Un projet peut intéresser une autre biotech ou une pharma pour compléter son propre pipeline de projets en clinique. Les acquisitions peuvent être aisément structurées en échange d’actions, ce qui peut intéresser des fonds n’ayant pas atteint leur horizon de liquidité. Mais surtout, les SPV ont souvent négocié en amont une option de licence ou une option d’achat exclusive, avec une pharma parfois partenaire de l’investisseur. Auquel cas, l’option est donnée à un prix minimum pouvant correspondre à un multiple de l’investissement, et permettant d’assurer la liquidité selon qu’il s’agit d’un droit de premier refus ou d’une option exclusive. En tout état de cause, les investisseurs peuvent trouver un moyen dans les SPV de procéder à des sorties à horizons plus fréquents : la liquidité sur une société à projets multiples est structurellement plus aléatoire et plus lointaine (mais plus rémunératrice ?) tandis que l’investissement dans plusieurs SPV permet des sorties récurrentes compte tenu de la dilution des risques dans les différents projets.

 

 

LES POINTS CLÉS

  • Avant tout un schéma sur mesure, propre à chaque projet, qui peut s’optimiser si les porteurs de projets et les investisseurs poussent sa logique d’économie d’échelle jusqu’au bout et préemptent le ou les acquéreurs potentiels en amont.
  • Du point de vue des biotechs, ce modèle reste un mode de financement parmi d’autres, permettant une agilité dans la structuration des projets et offrant une plus grande variété d’investisseurs et de sorties.
  • La structuration de la SPV peut s’avérer complexe selon le mode de transfert des actifs

 

 

SUR L’AUTEUR

Emmanuelle Porte est associée de l’équipe Corporate de Bird & Bird à Paris, spécialisée en Life Sciences. Elle conseille régulièrement des biotechs/ medtechs sur leurs financements, leurs opérations M&A et boursières.

 

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