Le feuilleton politico-judiciaire Tapie/Crédit lyonnais semble avoir enfin trouvé son épilogue après la condamnation des époux Tapie à restituer plus de 404 millions d’euros. Toutefois, l’affaire pourrait encore réserver quelques surprises...

Par Jérémie Rozier, avocat à la Cour, Amadio, Parleani, Gazagnes

Et Raphaël Kaminsky, avocat aux Barreaux de Paris et New York, Raphaël Kaminsky / Litigation & Arbitration

 

Au terme d’une procédure d’arbitrage qui a été jugée entachée de fraude par l’arrêt remarqué de la cour d’appel de Paris du 17 février 2015[1], cette dernière devait se prononcer sur le fond du litige opposant les époux Tapie ainsi que certaines de leurs sociétés affiliées aux sociétés du Consortium De Réalisation (CDR), suite à la cession de l'équipementier sportif, Adidas. Moins de neuf mois après la rétractation des quatre sentences arbitrales de 2008, la cour d’appel de Paris déboute finalement les époux Tapie de l’ensemble de leurs demandes (à l’exception de leur demande de réparation du préjudice moral) et les condamne, en conséquence, à restituer les sommes perçues à l’issue de l’arbitrage, soit plus de 404 millions d’euros.

 

Procédure tentaculaire

Au soir du 17 février 2015, ce litige avait définitivement quitté la sphère arbitrale pour retrouver celle du contentieux judiciaire, laissant toute latitude aux magistrats de la cour d’appel de Paris pour trancher le fond du litige, dans les limites toutefois du compromis d’arbitrage initialement conclu en 2007. Cette tâche s’annonçait ardue eu égard à l’ampleur qu’avait pris ce contentieux depuis près de vingt-deux ans et aux complexités juridiques et factuelles d’une procédure devenue absolument tentaculaire. 

Se fondant sur des pièces produites par leur nouvel avocat, Emmanuel Gaillard, les époux Tapie et leurs sociétés affiliées sollicitaient une indemnisation astronomique de plus de 1,1 milliard d’euros, correspondant, selon eux, à la plus-value (augmentée des intérêts) qu’ils auraient réalisée en l’absence des prétendues fautes de la banque dans l’exécution de son mandat de cession de la société Adidas, outre 50 millions d’euros au titre de leur préjudice moral.

Aux termes d’un arrêt extrêmement détaillé de quarante pages, les trois magistrats de la cour d’appel de Paris ont déclaré irrecevables l’ensemble des demandes pécuniaires des demandeurs en rapport avec l’affaire Adidas. La cour a en effet considéré qu’en sollicitant une réparation au titre de la plus-value manquée, les époux Tapie et leurs sociétés affiliées n’avaient pas démontré de préjudice personnel, distinct de celui des actionnaires, contrairement à ce qui avait été exigé par les précédentes décisions de la cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation (arrêts dont les parties avaient reconnu l’autorité de chose jugée dans le compromis d’arbitrage et qui s’imposaient donc à elles, aussi bien lors de l’arbitrage qu’aujourd’hui).

 

Conclusion cinglante

Cet argument procédural aurait seul suffi à rejeter les demandes d’indemnisation des demandeurs. Pourtant, les magistrats se sont attachés à vérifier si les sociétés du groupe Tapie disposaient des mêmes informations que la banque à la date de la vente d’Adidas et si celle-ci avait méconnu son devoir de loyauté, d’information et de conseil à l’égard de son mandant. Sur l’ensemble de ces points, la cour d’appel de Paris dédouane les sociétés du groupe Crédit lyonnais de toute faute commise lors de la vente et constate par ailleurs qu’il n’existe pas de lien de causalité entre le préjudice allégué et les fautes reprochées.

La conclusion de la cour d’appel est cinglante à l’égard des époux Tapie et de leurs sociétés affiliées : « Il résulte de tout ce qui précède que les demandeurs au fond, qui se prévalent d’un préjudice qu’ils n’ont pas qualité pour invoquer et qui ne démontrent ni faute ni lien de causalité, sont irrecevables et, au surplus, mal fondés en leurs prétentions qui seront donc rejetées. »

 

Défaite judiciaire cuisante

La conséquence du rejet des demandes des époux Tapie est tout aussi lapidaire : ils doivent restituer l’ensemble des sommes perçues en 2008 en exécution des quatre sentences finalement annulées, soit plus de 404 millions d’euros, outre les intérêts légaux (avec capitalisation) depuis le jour où ces sommes ont été payées, ce qui représente d’après nos calculs près de 30 millions d’euros supplémentaires à ce jour. En outre, les frais (très importants) de l’arbitrage ainsi que les frais de justice de la présente procédure (300 000 euros) sont également mis à la charge des époux Tapie. La défaite des époux Tapie apparaît donc absolument cuisante sur le terrain judiciaire.

Malgré le rejet de l’immense majorité des demandes pécuniaires des demandeurs, la cour d’appel a reconnu l’existence d’un préjudice moral subi par les époux Tapie. Néanmoins, alors que le tribunal arbitral leur avait attribué un colossal montant de près de 45 millions d’euros au titre de leur préjudice moral, la cour d’appel de Paris évalue ce préjudice, faute de démonstration probante par les époux Tapie, à un euro symbolique.

 

Restitution

Même si cet arrêt pourrait sonner le glas de cette saga politico-judiciaire, on peut penser que l’affaire Tapie n’a certainement pas encore fini de faire couler de l’encre. Sitôt cette décision rendue publique, l’avocat des époux Tapie et de leurs sociétés a annoncé son intention de se pourvoir en cassation (comme il l’avait déjà fait à l’issue de l’arrêt du 17 février dernier, procédure qui est d’ailleurs toujours pendante à ce jour). Ce recours n’ayant cependant pas de caractère suspensif en droit processuel français, il appartiendra donc aux époux Tapie et à leurs sociétés affiliées de restituer au CDR les sommes payées dans le cadre de l’arbitrage.

Des mesures conservatoires avaient d’ores et déjà été prises avant le prononcé de cet arrêt et ces dernières pourront maintenant être converties en mesures définitives, sans compter les nouvelles procédures d’exécution que la banque ne manquera pas d’engager sur les biens des époux Tapie et de leurs sociétés. Pire encore, si les époux Tapie refusaient de s’exécuter, ils prendraient alors le risque que leur pourvoi en cassation soit radié, conformément à l’article 1009-1 du Code de procédure civile.

Décidément, cette affaire n’a pas fini de faire parler d’elle…

 

 

 

[1] Voir notre article : Arbitrage Tapie – Crédit lyonnais : vers un épilogue incertain, 19 février 2015 - http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-124115-arbitrage-tapie-credit-lyonnais-vers-un-epilogue-encore-incertain-1094810.php

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