Petite-fille et fille d’étoilés, Anne-Sophie Pic perpétue la tradition familiale avec ses trois étoiles gagnées en 2007. En cuisine, la chef jongle entre inspirations personnelles et un « travail par essence collectif ».
Décideurs. Réseaux sociaux, espaces collaboratifs, outils participatifs… Le leadership collectif prend-il, aujourd’hui, le pas sur le leadership individuel ?

Anne-Sophie Pic.
Dans le métier qui est le mien, la cuisine, nous devons prendre en compte cette révolution même si notre secteur d’activité n’est pas le plus innovant en la matière. Je pense que le leadership collectif est complé­mentaire du leadership individuel. Le défi quotidien qui m’est posé est celui du management de la créativité.


Décideurs. Les grands succès remportés par votre cuisine et vos restaurants sont-ils le fruit d’un leadership individuel et/ou collectif ?

A.-S. P.
Ils sont le fruit des deux. Je suis quelqu’un qui crée et j’ai besoin de penser ma cuisine, d’initier mon travail créatif dans la solitude en général. Une fois que j’ai une idée, je vais solliciter mes équipes pour la mettre en forme. C’est d’ailleurs le défi du management de la créativité : passer de l’idée à sa mise en œuvre, passer de la créativité à l’innovation.
Je crois beaucoup dans l’intelligence collective et essaie en permanence de casser les silos entre les services. Une expérience réussie dans un restaurant est bien le fruit de la complémentarité entre les équipes de cuisine et de salle, l’accueil, autant que l’expérience culinaire à proprement parler.


Décideurs. Leadership collectif et leadership individuel sont-ils complémentaires ?

A.-S. P.
L’un n’exclut pas l’autre. Je perçois mon rôle de manager comme celui d’un chef d’orchestre : donner du sens, guider mais aussi favoriser les échanges entre les membres de mon équipe. Par exemple, je viens de refaire ma cuisine. J’ai voulu un piano autour duquel tous les postes puissent être rassemblés : viande, poisson, sauce… Voilà une manière de penser l’outil de travail pour qu’il soit un facteur de rapprochement.


Décideurs. Quelles sont les qualités indispensables pour susciter un leadership collectif ?

A.-S. P.
Il faut savoir transmettre une vision, libérer les énergies et les initiatives, susciter les conditions de l’innovation et créer les conditions de l’intelligence collective… Vaste programme ! Heureusement, je ne suis pas seule dans cette aventure. Mon mari, David Sinapian, préside aux destinées de l’entreprise. Il a compris, depuis très longtemps, la nécessité de faire grandir ses équipes, le rôle fondamental de la confiance pour favoriser l’esprit d’initiative.


Décideurs. Comment un chef doit-il envisager son rôle dans un environnement de leadership collectif ?

A.-S. P.
Pour ma part, j’organise des séances d’essais (un brainstorming en entreprise). Ce sont des moments privilégiés où nous nous coupons de l’activité de l’entreprise pour libérer la créativité. Bien évidemment, je donne des directions et des thématiques à mes équipes avant ces séances.


Décideurs. Si tout le monde est chef, alors il n’y a plus de chef ?

A.-S. P.
Encore une fois, reprenons l’exemple du chef d’orchestre. Il crée les conditions du développement de chaque musicien dans un cadre nécessairement collectif car le rendu est collectif. Mais sans lui, ce travail collectif ne peut émerger. Il a un rôle de guide, il donne la direction.
En cuisine, c’est pareil, le travail est par essence collectif. Chacun a sa partition à jouer. Néanmoins, tout le monde n’est pas chef. Tout le monde a la possibilité de s’exprimer et de grandir, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.


Décideurs. Le leadership collectif est-il désormais une des conditions sine qua non pour garantir la pérennité d’une cuisine réussie ?

A.-S. P.
Oui je le pense. Je crois qu’un modèle en réseau est en train de se substituer à la hiérarchie verticale, que la compétence remplace le statut et qu’il faut encourager la prise de risque et l’initiative. On apprend tous ensemble à faire évoluer le mode de fonctionnement de l’entreprise, on fonctionne par essais-erreurs. Et petit à petit, les choses changent.


Propos recueillis par Julien Beauhaire


Photo © Stephane de Bourgies


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